Lord of the Flies, W. Golding
Me
fascine avant toute chose dans ce roman son titre même ; plus cérémonieux
encore en anglais qu’en français, traduction fidèle mais qui appauvrit un peu l’insolence
de l’appellation, Sa Majesté des Mouches
est sans nul doute un chef-d’œuvre.
J’avais
entendu parler de ce livre il y a bien longtemps, au cours de mon cursus
scolaire, mais de loin en loin, sans jamais l’approcher de bien près. Je ne
savais pas de quoi il était question, hormis d’enfants, et je l’avais catalogué
rapidement dans la catégorie « lectures d’enfants » qu’en tant qu’adulte
il ne me serait pas venu à l’esprit de lire. Comme bien souvent, c’est par des détours inattendus qu’une lecture
maîtresse finit par se représenter à moi. J’avais commencé à lire Cœurs perdus en Atlantide, un roman de
S. King qui aborde la période des années 60 à travers l’histoire de plusieurs
personnages, et dans la première partie se noue une amitié inédite entre un
garçonnet de 11 ans et un vieil homme. La mère du jeune garçon vient de lui
faire un cadeau d’anniversaire qui pourrait surprendre : une carte de
bibliothèque qui donne accès au rayon « adulte », et par cette
nouvelle entrée en lecture, le jeune garçon découvre sur les conseils de son
nouvel ami Sa Majesté des Mouches
dont il ne cesse de faire l’éloge, par la cruauté et l’exploration aiguë du
monde de l’enfance qu’elle propose. « Les enfants, eux, seront sauvés ;
mais qui sauvera l’équipage ? » Telle est la phrase prononcée par le
vieil homme, et que se remémore l’enfant, fasciné et envoûté par la lecture du
roman de Golding. Ce n’est pas la première fois que je lisais une référence à
cet auteur dans l’œuvre de S. King, mais pour le coup ma curiosité fut trop
forte, et je m’emparai dès que possible du livre sur le rayonnage de la
librairie.
Je
savais avant de commencer le livre que les enfants seraient sauvés. Mais de
quoi ? L’histoire raconte le naufrage d’un bateau qui laisse quelques
dizaines d’enfants livrés à eux-mêmes sur une île inconnue, non peuplée. Très
rapidement, quelques personnages se distinguent, jouant plus ou moins le rôle
de personnages principaux – héros ? – du roman. Il ne se passe, à
proprement parler, pas grand-chose dans cette histoire, qui conte davantage les
tentatives désespérées d’agir en adulte, de n’y pas parvenir – ou au contraire,
d’y parvenir trop bien. Pas de peinture idyllique du monde de l’enfance, bien
au contraire tous les aspects les plus douloureux, vécus par chacun sans doute
dans la solitude des premières années, sont ici évoqués, et l’on s’attache tant
à ceux qui tentent d’agir le mieux possible qu’on se perd irrémédiablement avec
eux dans les buissons, taillis de cette jungle hostile… mais ce ne sont pas
tant la nature et les animaux qui la constituent que la présence des autres qui font de cet endroit un
progressif mais inéluctable enfer. Retour à l’état sauvage, cauchemars et rêves
de l’enfance, dérives inconscientes mais implacables vers la forme la plus
brute de la nature humaine – jai mieux compris tout à coup pourquoi cette œuvre
avait tant marqué S. King et pourquoi elle formait comme un socle, un terreau
fructueux sur lequel avait pu s’édifier la plupart de ses œuvres.
Je
me suis donc trompée. Il ne s’agit en aucun cas d’une lecture d’enfant mais
bien d’un de ces livres placés dans le rayonnage des adultes. Oui les enfants
sont sauvés… mais le sont-ils vraiment ? l’intrusion brutale du regard de
l’adulte à la fin du roman provoque un changement d’échelle époustouflant,
comme la fin d’un rêve ou d’un cauchemar éveillé duquel on est bien aise d’être
sorti… tout en ne pouvant déterminer, dans ces regards troubles où ne se lit
plus aucune trace de naïveté, si le cauchemar ne se poursuit pas au-delà du
livre enfin refermé.