Lectures de Maxime Chattam
Mon premier contact avec cet auteur, par la découverte du premier volume de sa trilogie récente Autre-Monde, n'avait pas été des plus concluants. Déçue par les clichés convenus et l'absence réelle d'originalité de l'histoire, je n'ai pas entrepris depuis de lire les 2 tomes suivants, qui ont cependant connu un certain succès de librairie. Plusieurs ouvrages de l'auteur traînaient cependant à ma portée, et poussée par la curiosité - après tout, c'est un auteur qui réussit à faire parler de lui - j'ai lu dans la même foulée quatre de ses romans antérieurs : La promesse des ténèbres, et la trilogie fameuse : L'âme du mal, In tenebris, et Maléfices.
La promesse des ténèbres nous entraîne dans le sillage d'un journaliste indépendant, marié à une femme-flic bien américaine (métisse, musclée et j'en passe), qui se retrouve brutalement confronté, par une sorte de curiosité malsaine, au suicide inexpliqué d'une prostituée dont il a consulté sur internet le site sur les conseils d'un ami. Intrigué, sans qu'il puisse vraiment en identifier la cause, par une video brutale qui la met en scène, il la rencontre et suite à sa mort plonge peu à peu dans les "ténèbres", oscillant entre répulsion et fascination, et menant le lecteur à sa suite toujours plus loin dans les obscures circonvolutions de la folie humaine. Présenté ainsi, le récit donne presque envie d'être lu, pour peu que l'on se délecte de
situations horrifiques et de scènes sanglantes. De fait, l'ensemble fonctionne efficacement jusqu'au dénouement final, et l'intrigue bien bâtie parvient à attraper et fixer durablement l'oeil du lecteur au fil des chapitres successifs. Cependant, le fond de l'histoire est si malsain, et les situations si dérangeantes, si écoeurantes, que c'est avec le coeur au bord des lèvres et un sentiment nauséeux permanent que l'on suit le déroulement de l'histoire, sans trop savoir si l'auteur lui-même dénonce, condamne, ou se complaît dans les faits qu'il décrit. Oui l'ensemble est correctement écrit, et le titre tient toutes ses promesses - mais l'on n'en ressort ni grandi, ni époustouflé ; ne demeure en somme que ce sentiment de puissant malaise dont il est difficile de bien saisir l'origine.
L'âme du mal nous plonge dans l'univers de Joshua Brolin, profiler réputé dont le talent particulier tient à - nous dit-on à maintes reprises - cette faculté qu'il possède de se couler dans l'esprit du tueur qu'il poursuit, à épouser les méandres de sa folie intime, à devenir, pour ainsi dire, le tueur lui-même. Et en matière de serial killer complètement frappé, nous voilà bien servis : s'attaquant aux femmes (original, tiens) dont il brûle le front, les mutilant, le tueur dont il est question manifeste un goût certain de la mise en scène ; et c'est à travers le regard de l'une de ses victimes, Juliette, que nous suivons intimement le calvaire ainsi mis en scène. Mais étrangement, le tueur est bien vite abattu, et c'est la survenue de crimes identiques portant sa trace indéniable, plusieurs mois après sa mort pourtant indubitable, qui enclenche le suspense et relance habilement l'intérêt du lecteur. Ce volume m'a davantage séduite que le précédent, et je dois reconnaître ici un certain talent pour l'entrelacement relativement réussi des fils de l'intrigue - bien qu'un peu tarabiscotée (qu'on me pardonne cette familiarité abusive), elle se laisse lire jusqu'à son terme, et parviendrait même à nous arracher un semblant de compassion pour le pauvre Joshua, décidément né sous une mauvaise étoile. Mon seul regret - et les volumes suivants de la trilogie le confirmeront - c'est cette inexploitation manifeste de la qualité tant vantée du profiler ; à peine ébauchée, cette capacité à se fondre dans l'esprit du tueur aurait pu donner lieu, à mon avis, à des rebondissements plus savoureux et plus élaborés.
In tenebris nous permet de retrouver les deux univers précédents, en faisant se rencontrer fortuitement (ou presque) la femme-flic de La promesse des Ténèbres, Annabel, et Joshua le malheureux, bien atteint par son aventure précédente. Deux éplorés se trouvent...heureusement, l'intérêt se déplace, et l'on plonge encore plus manifestement dans les ténèbres qu'avec la promesse précédente. On était prévenu, on va en avoir pour notre argent : les horreurs se multiplient, et il faut avoir le coeur décidément bien accroché pour suivre dans cette descente toujours plus profonde vers les enfers nos deux héros dans leur enquête monstrueuse... Très bien construite là encore, l'intrigue fait chavirer l'estomac à plusieurs reprises, et battre le pouls de manière compulsive. Le dénouement est à la hauteur, tout se tient.
Maléfices poursuit le duo-gagnant inauguré par le volume précédent : Annabel et Joshua sont à nouveau confrontés à une vague de crimes, pour le moins surprenants : des attaques d'araignée géante... si l'on peut rester quelque peu dubitatif au départ de cette intrigue, qui n'est pas - comme pour les autres volumes d'ailleurs - sans rappeler ici ou là celle du Silence des agneaux, reste que ce troisième opus est moins sordide, et plus abouti dans l'écriture, que les précédents. Et sans doute, en orientant davantage le récit sur les caractères de ses personnages, en leur donnant de l'épaisseur, et ainsi en recherchant moins l'effet choc-à-tout-prix, l'auteur gagne-t-il comme en maturité; même le dénouement semble témoigner d'un plus grand recul. Aussi ce volume m'a-t-il semblé, après une incursion éprouvante dans l'univers étouffant de ces quatre récits, le plus abouti. Seul l'épilogue, annonce par l'auteur qu'il n'y aura pas de suite à l'histoire de Joshua Brolin, m'a laissée de marbre : à vrai dire, on s'en moque un peu.
Reste que je ne suis définitivement pas une fan de Maxime Chattam, et que l'impression malgré tout d'avoir peut-être perdu mon temps demeure ; en témoigne cette absence résolue du désir de relire, même dans plusieurs années - à moins que, tout simplement, mon goût prononcé pour le sordide ne se soit définitivement évaporé.