Paddy Clarke ha ha ha, de Roddy Doyle
Lorsque Blog-O-Book a proposé ce titre pour un partenariat avec les éditions Robert Laffont, je me suis proposée sans trop savoir pourquoi. Le titre ne me disait rien, le nom de l'auteur non plus, et lire un livre sur l'Irlande encore moins. Ce n'est qu'a posteriori, et encore davantage après avoir achevé ma lecture, que j'ai compris pourquoi j'avais souhaité lire ce livre. Roddy Doyle, c'est l'auteur du génial Snapper - non pas Snipper mais Snapper, le marmot, le mioche, le mouflet, cette histoire d'une jeune fille qui, à la suite d'une soirée trop arrosée tombe enceinte, et décide, à la stupéfaction générale, de garder cet enfant sans jamais vouloir révéler qui en est le père. Histoire qui pourrait être amère et qui en a tous les accents, mais traitée avec ce superbe humour, cette joie de vivre grinçante, ironique à vous faire pleurer de rire, qui a sans nul doute été à l'origine de sa non moins magnifique interprétation par Stephen Frears dans le film du même nom.
Je ne me suis souvenue de The Snapper qu'en découvrant l'histoire de Paddy Clarke, enfant irlandais d'une dizaine d'années, qui apparaît bien tel un sale môme dès le début du roman. Pas comme le petit Nicolas et ses compères qui font pâle figure à ses côtés, là, la sournoiserie, les quatre cents coups, la filouterie de l'enfance aux conséquences parfois dramatiques - il enflamme à l'essence les lèvres de son petit frère au bout de quelques pages - sont palpables et le lecteur décontenancé par cette narration qui avec légèreté conte des drames, ne sait pas bien s'il doit condamner les faits ou sourire et les excuser en raison de la jeunesse manifeste de leurs auteurs. Car Paddy n'est pas tout seul, il est entouré de sa bande de copains avec lesquels il se jette des défis, fait résonner les trottoirs de son rire, et tourmente son petit frère qu'il a affublé du surnom de Sinbad - et qui n'existe plus pour nous que sous ce sobriquet. Mais page après page, le lecteur n'a plus guère de choix : tout entier pris dans les frasques du narrateur, il les suit et ne peut que s'en amuser, en sourire, et bientôt en rire, tant la narration elle-même s'amuse et présente le monde à travers ce prisme si précieux de l'enfance, que l'auteur parvient à merveille à restituer. Petit à petit, les personnages évoqués par touches au fur et à mesure des rencontres de Paddy prennent corps, s'animent, acquièrent une personnalité, une place solide - ainsi Henno, l'instituteur dur, sévère, et qui leur apprend l'irlandais, qui s'humanise peut-être, sous le regard du garçonnet sommé au fil de l'histoire de quitter ses illusions d'enfants.
Les fils qui se nouent et se dénouent tissent une narration solide, qui progresse sans en avoir l'air, et nous mène par des chemins de traverse au coeur de la vie : ses joies, ses déceptions, ses profondes désillusions et ses amertumes, comme sait s'y bien en être exemplaire le cercle familial, mais aussi le cercle des amis, des voisins, de tous ceux qui nous entourent. Sans être le moins du monde familière de l'univers irlandais, j'ai si souvent reconnu des accents propres de mon enfance, que je n'ai pu qu'être sensible à cette tonalité universelle, portée par la voix du personnage et par celle de son auteur. Partagé entre l'amusement et l'émotion, le lecteur ne peut que se projeter tout entier dans cette résonance particulière que Roddy Doyle sait donner à la couleur du monde ; sans jamais basculer dans le pathétique, ni la mièvrerie, ni dans les bons sentiments, l'auteur peint la vie telle qu'elle est, et l'amertume qui se glisse au creux des pages n'est jamais bien loin d'un éclat de rire.
Un grand merci à BOB et à l'éditeur partenaire pour cette (re)découverte.