La ronde et autres faits divers, de J.M.G. Le Clézio
Attrapé
par curiosité et un vague souvenir de déjà-vu-quelque-part-ce-titre, ce recueil
de onze nouvelles m’a surprise d’abord, déconcertée ensuite, et émue souvent,
parce que je n’avais pas ce souvenir-là de mes anciennes et rares tentatives de
lecture de Le Clézio. Sans doute suis-je enfin devenue réceptive à cette
qualité de l’écriture dont certaines tournures et procédés n’ont pas manqué de
me rappeler, lointainement, celle de Robbe-Grillet. Car là encore le sel de la
narration n’est pas à chercher au cœur du récit, dont la trame n’est pas
insignifiante, mais correspond bien au titre annoncé : des faits divers,
des petits ou grands accidents de la vie, terrain propre par excellence à l’exploration
de la condition humaine. Tout le bonheur de l’écriture réside au contraire dans
l’appréhension particulière que l’auteur fait de la résonnance des événements
au plus profond des regards et des consciences humaines, dans cette captation
si singulière de la façon dont le monde résonne en nous, dont ses fragiles
aspérités nous égratignent et nous poursuivent encore longuement, lors de nos
rêves mêmes. La réalité vécue et décrite se brouille et s’affine tour à tour,
au fur et à mesure que les consciences qui la parcourent se créent et
deviennent peu à peu un véritable point focal, à partir duquel tout se déploie
et prend son sens.
Aussi
la violence des faits divers tient-elle désormais à ce repositionnement adéquat
au sein d’une conscience toujours en mouvement ; Le Clézio enlève au fait
du quotidien sa sécheresse objective et lui redonne les odeurs, les couleurs,
les sensations intimes qui l’entourent et le recréent. Le lecteur ne peut plus
porter sur le fait raconté le même regard de curiosité ou de surprise qui
accompagne d’habitude la relation de tels événements ; emporté tout entier
dans les fils qui retissent la toile du monde ainsi recréé, il vit les drames
de l’intérieur, et leur dimension tragique – et partant, universelle, l’atteint
de plein fouet, secoue ses émotions, le ramène au sein de cette foule anonyme
dans laquelle il se reconnaît désormais, et peut y prendre sa place.
Pas
de commisération, de regard apitoyé, de volonté engagée ou dénonciatrice, qui
parasiterait sans nul doute les textes ainsi recomposés. Le fait n’est pas non
plus livré de manière brute ou objective, laissant à chacun le soin de se faire son opinion ; tout au
contraire, il est le terrain favorable à un intime et universel récit du monde,
celui du quotidien, par essence intemporel.