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Biais   d'humeurs    ...
6 juin 2009

Entre les murs, de L. Cantet

Par hasard, parce que l’occasion s’est présentée, et aussi mue par une franche curiosité, je me suis décidée à visionner Entre les murs, le film primé à Cannes qui a tant fait polémique dans la profession à sa sortie. J’avais d’abord lu le petit livre de F. Bégaudeau dont est tiré le film, par pur hasard aussi, et j’avais été assez désarçonnée, face à toutes les critiques sévères tout autour entendues, par le singulier plaisir que j’avais pris à la lecture de l’ouvrage. J’y trouvais un ton juste, pas tellement dans le fond finalement, mais dans cette souplesse de l’écriture et cette facilité à la restitution de l’oralité que je trouve personnellement si dure à atteindre. « Pas un grand ouvrage », « aussitôt lu, aussitôt oublié » - oui, certes il n’est pas question d’encenser un talent littéraire inouï, mais je voudrais reconnaître au récit la singularité du ton, la justesse de certaines situations de langage, la nouveauté aussi dans le traitement d’un sujet délicat, celui de la permanente confrontation d’un professeur avec ses élèves, avec l’institution dont il dépend.

 

entre_les_mursLe film a subi tout comme le livre de la part de la profession souvent un sévère jugement : on lui reproche l’invraisemblance des situations, la haute prétention du professeur incarné par Bégaudeau, l’apologie d’un certain mode de fonctionnement, d’une certaine pédagogie complaisante. Je ne suis pas sûre d’avoir saisi tout cela dans le film tel que je l’ai vécu. Au contraire, j’ai été sensible, et touchée par ce qui pour moi est la restitution au travers de scènes exemplaires de l’échec. Au point que je me demande vraiment comment on peut penser qu’il y a ici une apologie quelconque de quoi que ce soit d’ailleurs… Situations dans lesquelles l’enseignant s’enlise, conscience de son incapacité profonde à pouvoir réellement communiquer avec ses élèves, et lutte vaine contre cette incapacité qui se lit sur son visage et dans son regard impuissant ; faillite d’un système dans lequel le soutien mutuel n’est qu’une façade, monde dans lequel le verbe explose, domine, envahit tout – et où personne ne se dit jamais rien.

 

L’enseignant de français se refuse à faire Candide en 4ème, arguant de sa difficulté. Alors on a dit que c’était honteux, que justement son rôle aurait été de faire lire cette œuvre… Mais qu’est-ce qui dans le film nous prouve que c’est ce message-là qui est véhiculé, il ne faut pas faire Candide parce que c’est trop dur ? on a dit que ce professeur faisait l’apologie d’une pédagogie contestable. Mais il me semble au contraire que ce personnage est en permanence en position d’échec dans la mesure où il n’arrive pas à atteindre, toucher, susciter l’envie, l’intérêt. L’une des dernières scènes où l’une des élèves évoque la République me semble d’ailleurs à cet égard assez significative. Et je n’ai ressenti nulle part une quelconque intention d’exemplarité. Peut-être qu’il se trompe. Mais il n’est pas pour autant condamnable, il essaie, peut-être pas de la bonne manière, mais qui peut prétendre à mieux dans une situation similaire ? Rendre compte de l’incommunicabilité fondamentale, de l’échec d’un discours qui ne s’ancre plus en rien, voilà davantage ce que j’ai compris du film – mais peut-être me trompé-je moi aussi… La scène où l’un des élèves lit son texte du « j’aime, j’aime pas » seul face caméra, me semble là aussi significative. Il s’agit de l’exercice de l’autoportrait, pour « mieux vous connaître » dit l’enseignant. Mais à la lecture de son texte, que connaît-on finalement de l’élève ? Rien, rien du tout, juste des mots et du vide, du vent, des « j’aime, j’aime pas », qui ne signifient rien, qui ne permettent rien. Le langage tourne à vide. Elève assagi en apparence, « racheté » même puisque « les compteurs sont remis à zéro », et qui explose de toute sa personnalité lorsqu’on lui renvoie de plein fouet ce fameux « changement » dont s’est targué le système. Que peut prétendre connaitre l’école de l’élève finalement ? rien, ou pas grand-chose, ou des choses si loin de la réalité. Monde fictif coupé du monde, « entre les murs », qui a ses lois, ses règles, en-dehors desquels rien n’est plus pareil.

 

Je trouve ce film d’une grande tristesse ;il me laisse en fond de regard un goût de mélancolie que déjà j’avais perçu dans le livre, parce qu’il n’y a pas de leçon, de message, ni d’espoir ni de désespoir. Juste le constat, dépourvu d’émotion, d’un échec de la parole. On a dit aussi qu’il y avait de belles « joutes verbales » et qu’en ce sens c’était une célébration du langage, de sa vivacité et de sa fluidité… ni le livre, ni le film ne m’ont jamais donné cette impression, tant le silence – et en particulier le silence final, me semble plus significatif que tout ce verbiage dont, à l’image de cette dernière élève isolée, le spectateur n’a rien retenu.

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Commentaires
E
Je n'ai ni lu le livre ni vu le film et ton billet réveille un peu mon envie de les découvrir à mon tour car ça fait du bien de voir un avis un peu différent de tous ceux que j'ai pu lire ici ou là !
N
Ce film a beaucoup de qualités. Begaudeau n'hésite pas à dire les ereurs qu'il a pu faire (en parlant d'une manière incorrecte à ses élèves, notamment), le film n'est pas manichéen et ne prend pas parti. De même, via les débats des profs pour trouver des solutions aux problèmes qu'ils peuvent rencontrer, on prend conscience que la solutions idéale n'existe pas. J'ai en revanche trouvé assez peu crédible le fait qu'une élève lise La République de Platon, un texte particulièrement hermétique (il n'y a qu'à voir sa longueur...). Et pourquoi pas la Critique de la raison pure de Kant? Hormis ceci, un très bon film, très juste et intelligent.
G
Je n'avais vraiment pas envie de le lire, maintenant au moins j'hésite ! C'est bien d'entre des avis différents!
M
Je m'attendais à détester..; et j'ai beaucoup aimé. Comme quoi ce film divise vraiment !
S
J'avais apprécié le livre. Par contre, le film m'a vraiment horripilée.
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