Entre les murs, de L. Cantet
Par
hasard, parce que l’occasion s’est présentée, et aussi mue par une franche
curiosité, je me suis décidée à visionner Entre
les murs, le film primé à Cannes qui a tant fait polémique dans la
profession à sa sortie. J’avais d’abord lu le petit livre de F. Bégaudeau dont
est tiré le film, par pur hasard aussi, et j’avais été assez désarçonnée, face
à toutes les critiques sévères tout autour entendues, par le singulier plaisir
que j’avais pris à la lecture de l’ouvrage. J’y trouvais un ton juste, pas
tellement dans le fond finalement, mais dans cette souplesse de l’écriture et
cette facilité à la restitution de l’oralité que je trouve personnellement si
dure à atteindre. « Pas un grand ouvrage », « aussitôt lu,
aussitôt oublié » - oui, certes il n’est pas question d’encenser un talent
littéraire inouï, mais je voudrais reconnaître au récit la singularité du ton,
la justesse de certaines situations de langage, la nouveauté aussi dans le
traitement d’un sujet délicat, celui de la permanente confrontation d’un
professeur avec ses élèves, avec l’institution dont il dépend.
Le
film a subi tout comme le livre de la part de la profession souvent un sévère
jugement : on lui reproche l’invraisemblance des situations, la haute
prétention du professeur incarné par Bégaudeau, l’apologie d’un certain mode de
fonctionnement, d’une certaine pédagogie complaisante. Je ne suis pas sûre d’avoir
saisi tout cela dans le film tel que je l’ai vécu. Au contraire, j’ai été
sensible, et touchée par ce qui pour moi est la restitution au travers de
scènes exemplaires de l’échec. Au
point que je me demande vraiment comment on peut penser qu’il y a ici une
apologie quelconque de quoi que ce soit d’ailleurs… Situations dans lesquelles
l’enseignant s’enlise, conscience de son incapacité profonde à pouvoir
réellement communiquer avec ses élèves, et lutte vaine contre cette incapacité qui
se lit sur son visage et dans son regard impuissant ; faillite d’un système
dans lequel le soutien mutuel n’est qu’une façade, monde dans lequel le verbe
explose, domine, envahit tout – et où personne ne se dit jamais rien.
L’enseignant
de français se refuse à faire Candide
en 4ème, arguant de sa difficulté. Alors on a dit que c’était
honteux, que justement son rôle aurait été de faire lire cette œuvre… Mais qu’est-ce
qui dans le film nous prouve que c’est ce message-là qui est véhiculé, il ne faut pas faire Candide parce que c’est
trop dur ? on a dit que ce professeur faisait l’apologie d’une pédagogie
contestable. Mais il me semble au contraire que ce personnage est en permanence
en position d’échec dans la mesure où il n’arrive pas à atteindre, toucher,
susciter l’envie, l’intérêt. L’une des dernières scènes où l’une des élèves
évoque la République me semble d’ailleurs
à cet égard assez significative. Et je n’ai ressenti nulle part une quelconque
intention d’exemplarité. Peut-être qu’il se trompe. Mais il n’est pas pour
autant condamnable, il essaie, peut-être pas de la bonne manière, mais qui peut
prétendre à mieux dans une situation similaire ? Rendre compte de l’incommunicabilité
fondamentale, de l’échec d’un discours qui ne s’ancre plus en rien, voilà
davantage ce que j’ai compris du film – mais peut-être me trompé-je moi aussi…
La scène où l’un des élèves lit son texte du « j’aime, j’aime pas »
seul face caméra, me semble là aussi significative. Il s’agit de l’exercice de l’autoportrait,
pour « mieux vous connaître » dit l’enseignant. Mais à la lecture de
son texte, que connaît-on finalement de l’élève ? Rien, rien du tout,
juste des mots et du vide, du vent, des « j’aime, j’aime pas », qui
ne signifient rien, qui ne permettent rien. Le langage tourne à vide. Elève
assagi en apparence, « racheté » même puisque « les compteurs
sont remis à zéro », et qui explose de toute sa personnalité lorsqu’on lui
renvoie de plein fouet ce fameux « changement » dont s’est targué le
système. Que peut prétendre connaitre l’école de l’élève finalement ?
rien, ou pas grand-chose, ou des choses si loin de la réalité. Monde fictif
coupé du monde, « entre les murs », qui a ses lois, ses règles, en-dehors
desquels rien n’est plus pareil.
Je trouve ce film d’une grande tristesse ;il me laisse en fond de regard un goût de mélancolie que déjà j’avais perçu dans le livre, parce qu’il n’y a pas de leçon, de message, ni d’espoir ni de désespoir. Juste le constat, dépourvu d’émotion, d’un échec de la parole. On a dit aussi qu’il y avait de belles « joutes verbales » et qu’en ce sens c’était une célébration du langage, de sa vivacité et de sa fluidité… ni le livre, ni le film ne m’ont jamais donné cette impression, tant le silence – et en particulier le silence final, me semble plus significatif que tout ce verbiage dont, à l’image de cette dernière élève isolée, le spectateur n’a rien retenu.