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Biais   d'humeurs    ...
13 décembre 2008

Je, François Villon

villonJe ne connaissais Villon que pour l’avoir entr’aperçu au détour d’une anthologie poétique, dans ces limbes de la section « moyen-âge » à laquelle nous jetons un regard rapide et parfois amusé, considérant cette langue obscure du passé – à juste titre – comme une autre langue. Je le confondais d’ailleurs souvent de mémoire avec Rutebeuf, que j’ai pourtant eu l’occasion de lire de plus près, et le refrain des « neiges d’antan » colore toujours pour moi l’évocation que je me fais des poèmes de cette époque. Ballades, rondeaux, virelais… des formes surannées associées à une parole désagrégée, presqu’amputée au regard de celle qui prolifère presque trop abondamment aujourd’hui (et ce billet en est une nouvelle preuve).

 

 

 

L’ouvrage me plongea in medias res dans la représentation barbare que l’on se fait du Moyen-Âge, avec la description étonnamment sèche et dépourvue d’émotion des restes brûlés de Jeanne d’Arc achevant de se consumer, puisque la naissance de Villon est associée à ce même jour. S’ensuit une description de la pendaison du père, puis l’évocation de divers supplices en usage à l’époque. Je lisais alors ce livre comme une bonne distraction, sans trop savoir pourtant si j’allais aller à terme, le style et le déploiement de la phrase de Jean Teulé n’ayant rien de particulièrement remarquables – ni fades, ni goûteux : sommaires et efficaces (j’ignore s’il s’agit là d’un compliment). Quand soudain s’opéra ce puissant miracle de la lecture, qui nous attache immédiatement à l’objet dont nous suivons le dépliement… la poésie de Villon, inattendue (pourtant, je le savais) au détour de la page, qui explose de toute sa beauté au milieu du récit patiemment reconstitué des traces de sa vie. Mais cette beauté, cette émotion d’une parole dont la langue même s’est tarie, paradoxalement prend toute sa dimension grâce au style dépourvu de poéticité qu’utilise Jean Teulé, et je ne suis pas certaine que ç’ait été là une volonté réelle de son auteur.

 

 

 

La concision, la brièveté de la parole, l’absence de pronoms récurrents qui caractérise la langue du Moyen-Âge , ce dépouillement pour ainsi dire, laisse éclore des émotions vives dans l’esprit du lecteur, qui par ce violent contraste prend conscience, comme dans le silence qui s’est établi dans son esprit, de la résonance d’une voix depuis longtemps éteinte. La langue de Villon n’est pas vulgaire, elle est moins grossière que celle qui tente petit à petit de reconstituer fictivement la vie dont finalement nous ne connaissons que peu de choses ; elle est moins grossière que celle qui décrit les violences et les atrocités, tout autour, dont nous n’avons pas besoin de connaître le détail pour comprendre les textes qu’elles ont pu engendrer. Aussi les passages les plus réussis du livre consistent-ils dans cet entrelacement assez finement dosé de notre langue contemporaine et des échos des paroles de Villon qui laissent ensuite pleinement place à la voix de cet auteur.

 

 

 

Les textes de Villon ne fonctionnent donc pas dans ce livre comme de simples illustrations, comme de simples jalons du récit fictivement (faussement ?) autobiographique, le justifiant comme après coup – bien loin de cette intention sans doute première, c’est la pauvreté du récit qui redonne toute sa place à une poésie puissante, une voix d’outre-tombe décidément contemporaine. La fin du récit semble s’évaporer comme cette image de Villon qui disparaît derrière une colline… ne me reste en mémoire que la voix du poète – et non celle du chroniqueur : en cela je puis dire que le livre, décidément, est une réussite.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Commentaires
M
Merci pour ton commentaire qui me fait chaud au coeur. Ce blog existe en partie grâce à toi, qui m'a redonné aussi le goût de lire et d'écrire ! au plaisir, donc :-)
L
Superbe billet. <br /> Nous nous croisons souvent sur PdL, mais je ne connaissais pas ta griffe, ton écriture. Alors avec ce blog, je découvre à la fois un joli livre (dont j'avais déjà entendu parler), mais aussi une chroniqueuse de talent. Je reviendrai assurément !
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