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Biais   d'humeurs    ...
1 janvier 2009

« Déjà lu »… Un mot pour ouvrir cette rubrique

Découvrir de nouveaux ouvrages ne m’attire pas particulièrement, et c’est bien paradoxal, (et bien triste finalement ?) pour quelqu’un dont le métier consiste avant tout à faire découvrir à d’autres les œuvres littéraires jamais lues. Face à un nouvel ouvrage, je ressens tour à tour de l’ennui (si l’ouvrage est épais et qu’on me l’a offert sans que je demande rien ; ou que l’auteur m’a déjà déçue et que je doive pourtant rouvrir l’un de ses ouvrages, par contrainte professionnelle essentiellement) ; de la curiosité mêlée de soupçon (si j’en ai entendu parler depuis tellement longtemps que je me sens profondément coupable de ne pas avoir encore pu l’ouvrir), ou quelque chose qui se rapproche de l’idée de plaisir, si c’est un ouvrage que j’ai choisi en toute connaissance de cause (intrigue particulièrement alléchante – donc sordide, souvent -, critique lue, souvent par hasard, qui réussit le tour de force de me convaincre d’acheter un livre dont je n’avais jamais entendu parler…). Pourtant, je ne peux pas le nier, j’achète régulièrement des livres, mais je dois bien avouer qu’il s’agit rarement d’un ouvrage récent, nouveau ou célébré par la « critique » actuelle, qui me fait fuir bien plus qu’elle ne m’attire.

Mais rien n’égale cette puissante sensation de fourmillement au creux du ventre, qui m’envahit de longues minutes avant que je puisse enfin ouvrir l’un de mes livres, ceux-là même dont je connais déjà par cœur tout le déroulement, et dont je sais que je vais pouvoir savourer le ravissement de la phrase bien connue, de la tonalité familière, comme un chaud murmure au creux de l’esprit. Je suis, devant chacun de ces livres, en perpétuelle redécouverte, en perpétuelle quête de ce déjà-là, que je connais si bien et dont j’ai cependant besoin à intervalles irréguliers, comme un retour aux sources qui ne se laisse pas différer. Et si je devais là, dans l’instant, choisir un exemple, ce serait celui de La Princesse de Clèves, dont je ne parviens pas vraiment à comprendre la réputation de difficulté. Chaque fois que je reprends cet ouvrage, il ne me faut que quelques lignes pour me couler à nouveau sans effort dans le mouvement onduleux et souple de la phrase de Mme de Lafayette. Le monde contemporain s’efface, j’accompagne la Princesse dans les couloirs du palais glacial où je l’imagine, avec toute cette pudeur et cette retenue que l’auteur met dans sa façon d’aborder son personnage même. Dans les moments les plus forts, les plus intenses de son trouble, je suis comme happée, noyée dans le fourmillement de ses pensées et de ses réflexions ; je n’ai pas pitié d’elle, mais j’ai plaisir au contraire à suivre pas à pas les mouvements d’une conscience qui renonce jusqu’au bout à risquer de trahir l’image qu’elle se fait du bonheur. Toute autre que ce personnage aurait immanquablement fini par céder – il est trop tentant de vérifier si l’amant rêvé peut devenir l’amant goûté – mais nous la quittons ainsi, toujours aussi distante et inaltérable, impénétrable,  incompréhensible finalement… et mon goût pour le romanesque me fait toujours refermer le livre avec un sentiment profond de tristesse et de plaisir mêlés. Ce que je n’aime pas dans La Princesse, sont finalement les traitements professionnels réservés à des passages qu’on ne se lasse jamais de relire, telle cette scène magnifique où le duc de Nemours, indécent comme le lecteur gourmand, observe la princesse regardant l’un de ses portraits dans la chaleur la plus intense que l’on ait pu donner à une scène de passion amoureuse. Je n’ai, pour l’instant, pu retrouver nulle part une scène d’une telle beauté, qui sans rien dévoiler en dit plus sur ce que peut être l’amour vécu encore dans l’attente de son accomplissement, qui peut-être ne viendra jamais, que tout autre roman. Mais chaque rencontre avec le duc, fortuite ou désirée, me fait retenir mon souffle comme si mon destin en dépendait ; comme dans la tragédie, je sais pourtant qu’il n’est pas question d’une rémission, et le plaisir sans cesse renouvelé d’une lecture toujours à refaire me conduit à comprendre ce qui fait la force, et le bonheur jamais épuisé, du chef-d’œuvre devenu classique.

L’évocation de ce roman me conduirait aussitôt à un autre, tout aussi connu, qu’est Les Liaisons dangereuses… Je ne sais pas ce qui me plaît le plus dans ce livre. Je crois que j’ai décidément un goût pour l’écriture à tiroirs… J’aime les phrases amples, qui prennent soin, comme précautionneusement, de ce qu’elles évoquent. J’aime la rondeur de cette syntaxe, la sonorité inégalée que cause, dans cette langue, l’emploi du passé simple… D’ailleurs, le langage des Liaisons est réellement propre à cet ouvrage, comme chaque roman a sa chanson intime, le rythme propre de son phrasé. Au-delà du savoureux dialogue des deux libertins qu’on ne peut s’empêcher d’admirer (s’en empêche-t-on d’ailleurs, au sein de la lecture ?), le déroulement implacable de la mécanique bien huilée du roman déjà connu me ravit ici plus qu’ailleurs. Je retrouve ces personnages sans surprise, jamais sans bonheur ; je relis certaines lettres avec attention, en survole d’autres comme on fouille dans une correspondance privée, mais la sienne propre, pour y retrouver les traces d’un ancien pincement au creux du cœur…

Longue pourrait être la liste de ces lectures jamais épuisées, quand tant d’autres me tombent des mains. En donner tous les titres me paraîtrait soudain bien indécent, comme une révélation sans fard de plaisirs tout intimes…

Parfois cependant, une perle inattendue surnage au-dessus de l’océan des livres que je ne connais pas, et l’ouvrage rejoint alors la communauté de mes lectures fondatrices. Ce fut le cas de Gracq, cela devient le cas de Giono… j’ai plaisir à penser que la liste n’est pas terminée…

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