Le chagrin du roi mort, de J-C. Mourlevat
Cela commence comme un conte aux lointains échos antiques mêlés de fantasy ; une histoire de gémellité, de succession, de rapt et de guerre. Une histoire d'amour aussi, mais pas de celles qui nous laissent les mains froides au bord des pages - plutôt de celles qui serrent le coeur et font songer au monde perdu d'une enfance bien lointaine.
Deux frères, deux enfants à cet âge sensible qu'affectionnent souvent les récits de l'enfance, avant le grand bascul, impitoyable, vers la maturité. 9, 10 ans, la complicité d'une fratrie et d'une famille, un grain d'aventure et de magie (qu'est-ce donc que cette merveilleuse bibliothèque dans laquelle on parcourt les rayons comme dans une attraction frissonnante !), une prophétie qui semble un rêve, et soudain le rapt, la fureur, la douleur et le déchirement. Quelques dizaines de pages seulement ont été parcourues, et déjà comme une forme de fatalité tragique parcourt les lignes, pousse les personnages vers des sentiments et des univers qu'ils ne désirent pas, qu'ils récusent, refusent, jusqu'à ce que la guerre concrétise cette fureur des hommes, et précipitent l'un contre l'autre ceux qui semblaient indissociables.
Il n'y a pas une histoire dans ce roman, mais plusieurs moments reliés par un même fil continu, et qui retrace en quelque sorte deux formes d'existence humaine. On suit tantôt l'une, tantôt l'autre, dans un récit qui ne s'embarrasse pas de situations trop convenues ou de débordements pathétiques. L'issue n'en est que plus incertaine, et l'on demeure un peu hébété par celle que l'auteur choisit de donner à son roman. Un livre pour la jeunesse qui réussit à ne pas basculer dans le happy end trop attendu, voilà, d'une certaine manière, une prise de risque.
D'une grande qualité, à l'écriture sobre et juste, ce récit est une réussite, et je remercie ceux qui l'ont mentionné au détour de conversations sur les plaisirs de la lecture, puisqu'il s'est précisément très justement agi de plaisir, pour celle-ci.