La part de l'autre, d'E.E. Schmitt
D'E.E. Schmitt je connaissais déjà quelques ouvrages : La nuit de Valognes qui m'avait tout à fait déplu, et Lorsque j'étais une oeuvre d'art qui m'avait tout à fait amusée. J'avais machinalement acheté La part de l'autre il y a quelques mois, mais hésitais à le lire, tant le thème me faisait craindre de lire à nouveau les pires horreurs ; certes le livre était précédé d'une réputation intéressante, mais comment savoir ce qu'il allait en être vraiment ?
Et pourtant nulle appréhension à avoir face à cette oeuvre, qui d'un sujet délicat parvient à faire un traitement émouvant, sans jamais, jamais que l'on prenne en pitié le personnage dont Schmitt a le courage de faire son presque unique protagoniste, sans jamais que l'on bascule dans un pathétique ou une tendance sordide, que sais-je encore, ces pièges tendus et dans lesquels on craindrait à chaque page de tomber, si l'auteur n'avait lui-même pleinement conscience de cette sorte de fil tendu, mince et fragile, et n'en quittait jamais l'ardue perception.
D'emblée le récit se scinde en deux, celui qui narre la vie d'Hitler depuis son échec à l'entrée aux Beaux-Arts jusqu'à son suicide ; l'autre qui comme fantômatiquement incrusté imagine et déploie les potentialités de ce même être une fois reçu à ce même concours. Au début, on s'en amuse, Schmitt ne résiste pas à certaines tentations que lui autorise cette route parallèle délicate et fantaisiste, et puis rien de grave ne s'est encore vraiment passé...puis le sourire, qui nous traversait les lèvres, ne s'éteint pas tout à fait, mais il se mêle à l'émotion, ce miroir d'humanité construit de toutes pièces par l'auteur, ce devenir d'un homme -vous, moi, n'importe qui. La façon dont Schmitt allie les réalités historiques et la faculté créatrice de l'écriture est stupéfiante, et je suis bien souvent demeurée admirative devant cet ouvrage, dont le style ne claque pas, ne brille pas, est juste terriblement efficace.
Une fois le double récit achevé, l'on suit avec un plaisir plus aigu encore le journal de bord d'écriture de La Part de l'autre ; plonger ainsi au coeur de l'intimité de la construction d'un récit que l'on a aimé est toujours pour moi une joie supplémentaire, comme un prolongement en même temps qu'une douce manière de quitter, inévitablement, un univers qui nous a habité pendant plusieurs heures, ou plusieurs jours..
Pimprenelle a eu la bonne idée de proposer la découverte de cet auteur en simultané aujourd'hui ; c'est avec plaisir que je profite de l'occasion pour écrire ce billet !