Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Biais   d'humeurs    ...
11 février 2010

Les Belles Endormies, de Kawabata

imagesC'est avec le vieil Eguchi, âgé d'une soixantaine d'années, que nous pénétrons dans l'univers calfeutré et protégé des "Belles Endormies", cet avatar des maisons closes réservées aux vieillards, qui leur offre la possibilité de passer une ou plusieurs nuits aux côtés de jeunes filles plongées dans un sommeil profond. Lorsqu'elles s'en éveilleront, elles n'auront aucun souvenir, ni de l'homme avec qui elles ont dormi, ni de rien qui ait pu se produire pendant cette nuit.

Sur un pareil sujet, on pourrait s'attendre à toutes les perversions. Une jeune fille nue livrée sans défense ni conscience toute une nuit aux désirs d'un vieil homme : voilà un scénario qui potentiellement augure d'un certain malaise, et pourrait plonger le lecteur dans une atmosphère pesante, ou glauque. Mais nous ne sommes pas ici chez n'importe qui : Kawabata, avec le talent qui le caractérise, fait de ce récit un véritable parcours initiatique et une rêverie à coeur ouvert sur le sens de l'existence, du désir, l'appréhension de la mort.

images_1Car ce vieillard, cet Eguchi qui se pense si différent des autres clients parce que lui n'a pas tout à fait perdu ce qui fait de lui encore un homme, se trompe justement sur ce qui fait sa différence. Non qu'il s'agisse de l'accomplissement possible d'une performance physique, mais plutôt d'une capacité à l'intellectualisation de ce qui, en règle générale, n'en requiert aucune. 4 jeunes filles se succèdent à ses côtés, toutes différentes, toutes, en quelque sorte, neuves et propres à renouveler le regard du vieil homme. Mais il oublie que ce qu'il contemple ce n'est pas comme il le croit, un corps endormi, mais le reflet à venir de sa propre mort.

Le texte traite de la puissance du corps et de ses phénomènes lorsqu'il se trouve confronté au désir, ces femmes ou plutôt ces jeunes filles opposent au corps décrépit la fraîcheur et la robustesse de leur peau, de leurs membres; leur parfum même évoque la puissance de la vie, force de vie qu'incarne par essence le corps de ces adolescentes exposées. Loin de s'y régénérer, le vieil homme observe en elles tout ce qu'il n'aura plus, mais plutôt que le désespoir, c'est comme une addiction qui le conduit à revenir, encore, et encore, pour dormir sans rêves de ce sommeil lourd qui préfigure le dernier sommeil.

L'on se demande enfin comment un tel récit peut se clore - par la mort bien entendu, ce récit qui lui est entièrement dédié ne peut s'y soustraire. Mais il ne faudrait pas que le lecteur se croit muni aussitôt de toutes les réponses... c'est donc sur une question ouverte, un brutal arrêt de la narration, que le texte prend fin. Ou se poursuit dans notre esprit.

 

Ce livre a été lu (avec bonheur) dans le cadre du défi 46359325_p grâce à Choco.

Publicité
Commentaires
C
Merci d'avoir choisi ce merveilleux roman !
M
Merci Lolli pour le compliment... je peux te prêter l'ouvrage si tu veux !
L
J'aime beaucoup ton billet. Et j'aime beaucoup la manière dont tu parles des livres en général. Je ne connais pas Kawabata, mais tu me donnes envie de le découvrir. Merci!
M
C'est un livre magnifique, il ne faut pas hésiter ;-)<br /> Céline je ne connais pas l'ouvrage dont tu parles mais en effet cela a l'air assez proche.
C
Tu donnes très envie de lire ce livre (et de découvrir cet auteur). La description que tu en fais me fait beaucoup penser à Mémoire de mes putains tristes, l'histoire d'un vieillard qui veut s'offrir une jeune vierge, histoire qui pourrait être très perverse, et qui est en fait un conte sur la vieillesse et la mort...
Publicité
Derniers commentaires
Publicité