U-Boot de Robert Alexis
Ce blog a décidé de s'associer à un projet ambitieux : chroniquer l'ensemble des romans de la rentrée littéraire !
Vous retrouverez donc aussi
cette chronique sur le site Chroniques
de la rentrée littéraire qui regroupe l'ensemble des chroniques
réalisées dans le cadre de l'opération. Pour
en savoir plus c'est ici.
Le
titre du roman ainsi que l’illustration retenue pour la couverture – un
officier marin, air nostalgique, tandis qu’au loin on devine le contour d’une
île boisée – ne laissent guère de doute sur la thématique abordée par le
récit : un navigateur (le narrateur) s’embarque à bord d’un sous-marin allemand
doté de la technologie la plus avancée, le U-823 ; il s’agit d’un équipage
nazi (l’action se déroule en 1945) dont la mission est étrangement tenue
secrète pour tous, seul Koszalin, le commandant de bord, en a connaissance, et
son comportement ne laisse pas d’être étrange, déroutant, inquiétant…
On
dirait, à évoquer ainsi imparfaitement la trame globale du récit, qu’il va
s’agir une fois de plus d’un récit de guerre (et de fait j’ai souvent songé
aussi pendant ma lecture à l’un des rares films de sous-marins que j’aie jamais
regardé avec plaisir, A la poursuite
d’octobre rouge), un récit qui se complairait dans les termes techniques, militaires,
avec d’abondantes descriptions de manœuvres et stratégies… mais il n’en est
rien, et c’est sans doute l’une des forces de ce récit que de nous entraîner
bien au-delà de nos attentes de lecture.
Il
y a d’abord une poésie amère dans l’évocation que le narrateur fait du
sous-marin ; avec, se tissant en toile de fond dans l’esprit du lecteur,
l’image remémorée du Nautilus de
Jules Verne suggérée par l’épigraphe du premier chapitre. L’appareil accède peu
à peu, et de façon inattendue, porté par la justesse des évocations dont il
fait l’objet, au statut de personnage. Fascination pour le narrateur, celui-ci
y voit le reflet et la projection de ses pensées, de sa perception propre du
monde à ce moment précis de son histoire, et toute la première partie du roman
se fait dans cette appréhension particulière que le personnage construit de sa
nouvelle demeure. Objet de curiosité
et d’attente, quand soudain le sous-marin est perceptible aux yeux de
l’équipage, sa dimension mythique ne fait plus de doute, et le récit de
l’embarquement, puis de la plongée et de la navigation sous-marine, se fait
avec cet arrière-fond mythologique commun à chaque homme. « Huit cents tonnes d’acier se mettaient en branle en formant
autour de la coque un frémissement d’ébullition ; le bruit, profond,
masqué par on ne sait quelle surface de matières fantastiques, n’en étaient que
plus redoutable. Il produisait la peur et la fascination, l’émoi qu’on éprouve
face à la démesure : montagnes cernées par l’orage, tempêtes fabuleuses,
bêtes mythiques…Tout ce qui échappe aux proportions humaines trouvait soudain
la possibilité d’un lieu. » (p. 28)
Moi
qui ne suis guère sensible, et pas du tout attirée par les récits militaires ou
de guerre, voici que je me trouve embarquée avec l’équipage et prise dans le
vertige, l’excitation de tout un groupe face à une machine qui ne semble plus
en être une mais un véritable monstre
marin, et inquiète tout autant pendant la plongée vertigineuse et risquée
qu’il tente… « Les tôles
avaient crié un peu, simples chamailleries de cour de récréation. Elles
poussaient maintenant des appels au secours, hallucinées par le ventre noir où
elles s’engouffraient, que, terrifiés, nous imaginions s’ouvrir à chaque
nouvelle stridence. » (p. 34)
Ainsi
se crée dans les premières pages cette atmosphère si particulière, si
intrigante, et bien différente de ce que laissait présager le titre et la
quatrième de couverture. Plus surprenant encore, le récit qui se met en place
juste après rompt brusquement avec le récit de guerre qui semblait
s’annoncer : quelques officiers dont le narrateur se retrouvent dans une
petite pièce isolée et décident de se raconter, sans fard ni pudeur, leurs
souvenirs d’enfance, leur vie d’avant la guerre. Et tout bascule à nouveau.
J’avais déjà songé presque immédiatement à Julien Gracq en prenant en main à
nouveau un livre sorti des éditions José Corti, et la mention complice d’un beau ténébreux à l’orée de ces pages
de confidences me fait penser qu’un balcon
en forêt ne devait pas être tout à fait inconnu de l’auteur. Le narrateur
ne souhaite-t-il pas d’ailleurs, au tout début du récit, « qu’on oubliât [s]on refuge » ? « J’entendrais derrière la porte le claquement
des bottes, mais personne ne songerait à me déranger ». Ainsi aurait
pu s’exprimer Grange, heureusement reclus dans sa maison-forte, la comparant si
souvent à un bateau sur l’immensité de la mer, se sentant capitaine d’un
équipage isolé, abandonné, dépositaire d’une mystérieuse mission…
Les
récits des confidences, s’ils forment une vraie rupture avec la trame narrative
du roman, constituent en eux-mêmes des micro-récits qui cependant s’insèrent
parfaitement dans l’ensemble, par la fluidité narrative qu’ils ont en commun avec
le récit principal. Récits scandaleux, déconcertants, déroutants, ils
constituent la raison d’être de ce curieux équipage, et permettent une
véritable interrogation sur la nature humaine.
Sans jamais quitter le récit de guerre, l’on ne peut pas dire qu’on y soit
cependant en permanence, mais ces pauses narratives, loin de constituer une
bouffée d’oxygène dans l’univers étouffant du sous-marin, ne font qu’en
renforcer l’air amer et corrompu. Lorsqu’enfin on parvient à leur terme, et que
toutes les pièces du puzzle soudainement se mettent en place, il est presque
déjà trop tard ; pris dans le cours des événements, le lecteur et le
narrateur ne peuvent plus que constater et suivre le fil. On pourrait croire
que tout s’achève alors mais non : la dernière partie du roman nous mène
là encore vers une destination inattendue et un tour à nouveau surprenant du
cours de l’histoire.
Moins
convaincue par l’issue du récit, qui m’a paru ne pas répondre exactement aux
attentes qu’avait si justement su créer toute sa première partie, je dois
néanmoins reconnaître que j’ai été vraiment séduite par un ouvrage écrit avec
talent, prenant, dont le thème ou la trame ne m’attiraient pourtant pas a priori. Il n’est pas évident d’embarquer avec soi un lecteur
dubitatif ; ici Robert Alexis y parvient sans difficulté, par la force
d’un récit qui va saisir son lecteur justement là où il ne l’attend jamais. Un
roman à connaître.
Je remercie chaleureusement Guillaume de
Babelio et les éditions José Corti pour cet envoi.