Qui se souvient de Paula ? de Romain Slocombe
Ayant récemment lu Les Bienveillantes, et
visionné sur Arte le début d'un film documentaire assez ardu sur les
massacres juifs pendant la Seconde Guerre Mondiale, je suis devenue
particulièrement sensible - et sans doute trop investie
émotionnellement - aux récits traitant de cette douloureuse question.
Dans Qui se souvient de Paula? l'art de conter et la richesse documentaire font de cet ouvrage une vraie réussite.
Le récit commence avec cette longue lettre écrite
par Paula à son ami Jacques, lui contant comment elle et sa famille ont
échappé à la rafle du Val d'hiver, comment elle a réussi à passer en
zone libre. Dans la seconde partie, nous suivons Paula de retour à
Paris, cherchant désespérément son père, resté en zone occupée pour
prêter main-forte aux réseaux organisés de la Résistance. Enfin, c'est
la quête de Jacques, recherchant Paula après la guerre, qui clôt, avec
justesse et lucidité, l'ensemble de cette enquête tournant autour de
Paula Karlinski. Rien en somme de très différent de ce que nous
connaissons désormais tous de cette guerre; mais ici la variété des
points de vue, les changements de focalisation, et l'association entre
fiction et documentaire donnent à cette oeuvre une saveur particulière
et un retentissement émotionnel vraiment fort. L'écriture sait donner
de la profondeur à la peinture des personnages, à leurs réflexions, à
la façon dont ils vivent, comprennent ou non les événements qui
s'enchaînent, dont nous savons parfaitement qu'ils sont ou seront
tragiques, dont nous voudrions tant qu'ils n'aient (ou n'aient pas eu)
lieu. Il y a ainsi un réel suspense, car il est impossible de prévoir
ce qui va arriver à Paula, ce qu'elle est devenue; de surprise en
surprise - et en fin de compte, malheureusement sans surprises,
l'histoire se construit petit à petit, comme discrètement, de telle
sorte que le lecteur ne peut abandonner temporairement le récit sans
regrets.
Toutes les questions du traitement des Juifs pendant la guerre, depuis
la privation de leurs droits fondamentaux, le port de l'étoile, les
rafles, jusqu'aux convois vers les camps de la mort, sont abordées;
mais avec une sorte de douceur dans le réalisme, qui n'atténue pas pour
autant les événements, mais les rend plus sensibles, plus
compréhensibles de l'intérieur, pour le lecteur qui ne dispose à cet
instant que de son imaginaire. Tournant autour de l'existence d'une
jeune étudiante de 20 ans, l'histoire prend une résonnance
particulière, celle de cette jeunesse pleine d'espoir, mais aussi
démunie, qui donne au récit sa tonalité si fragile, si émouvante, sans
jamais verser dans le pathétisme, dans la surenchère émotionnelle. Ce
récit est sans nul doute lisible par de jeunes lecteurs et offre ainsi
l'avantage d'un vrai plaisir de lecture et d'un traitement intelligent
de la question de la guerre dans ce qu'elle a eu précisément de non
militaire et d'inhumain. Pari gagné.